7 députés du Centre, MCG et UDC veulent réintroduire la chasse à Genève.

La chasse est interdite dans le canton de Genève depuis 1974, suite à une votation plébiscitée par 72 % de la population. La droite genevoise, qui essaie depuis 50 ans de supprimer cette interdiction, vient de déposer un nouveau projet de loi pour permettre aux chasseurs d’abattre des animaux.

 

Chasse interdite à Genève depuis 1974

Inscrite dans la Constitution genevoise depuis le 19 mai 1974, l’interdiction de la chasse prévoyait également la création d’une commission (aujourd’hui nommée commission de régulation de la faune), chargée de donner au Conseil d’État tout préavis utile pour «lever l’interdiction afin d’assurer une sélection et un meilleur état sanitaire de la faune».
Pour éviter toute ingérence politique par des tirs inutiles d’animaux et garantir son rôle de garde-fou, le texte constitutionnel précisait que la commission de régulation était composée de représentants des organisations de protection des animaux et de la nature.

Attaques constantes de la droite contre l’interdiction de la chasse

Depuis 1974, les partis de droite, PLR en tête, n’ont cessé de tenter de neutraliser l’interdiction par de réguliers dépôts d’objets tels que motions ou amendements. Certains visaient à supprimer le budget des gardes de l’environnement (chargés d’effectuer les tirs de régulation aux conditions approuvées par la commission), afin que le Conseil d’État fasse appel à une cinquantaine de chasseurs (1). D’autres demandaient l’engagement de chasseurs comme «gardes auxiliaires» pour participer aux tirs d’animaux (2).
Toutes ces actions ont échoué, la commission de régulation ayant toujours refusé de préaviser des demandes de tirs effectués par des chasseurs.

Supprimer l’interdiction de la chasse grâce à la nouvelle Constitution

En 2008, la population genevoise approuve l’élaboration d’une nouvelle constitution par une Assemblée constituante. Lors du traitement de l’article interdisant la chasse, sur proposition du radical Pierre Kunz, la majorité de droite de l’Assemblée constituante refuse de maintenir l’article constitutionnel interdisant la chasse. Il dépose un amendement pour que celui-ci soit modifié, avec le soutien de plusieurs constituants dont certains siègent maintenant dans des législatifs. À l’exemple des actuels élus au Conseil national Simone de Montmollin (PLR) et Thomas Bläsi (UDC), ainsi que des députés au Grand Conseil Murat-Julian Alder (PLR), Patrick-Etienne Dimier (MCG) et Jean-Marc Guinchard (Le Centre) (3). Le nouvel article constitutionnel est rédigé comme suit:

Art. 162 Chasse

La chasse aux mammifères et aux oiseaux est interdite. Les mesures officielles de régulation de la faune sont réservées.

Si, sur le principe, la chasse est toujours censée être «interdite», celle-ci ne s’applique donc plus aux «mesures régulatrices». Comme la plupart des tirs visent à réduire le nombre d’une population d’animaux, qu’il s’agisse de sangliers, chevreuils ou autres, la porte est ouverte pour tous les tirs possibles.
La commission de régulation, seul garde-fou contre les décisions injustifiées de tirs, est également supprimée de l’article constitutionnel. Mais, assurent les constituants, il ne s’agit nullement d’une volonté de la supprimer totalement, puisqu’elle reste inscrite dans la loi sur la faune. Et d’assurer, promis juré, que personne ne prévoit sa suppression: «affirmer le contraire est une contrevérité flagrante», écrivait le constituant Thierry Tanquerel (4) le 22 septembre 2022. Des propos soutenus par d’autres constituants, comme le radical Pierre Kunz (5). Quant au constituant de l’époque Jean-Marc Guinchard, aujourd’hui signataire du PL 13661, celui-ci se lançait dans un amical dialogue avec un petit garçon accompagné d’un renard (6), assurant en guise de conclusion : «Oui, la chasse demeure interdite, tu n’as pas de souci à te faire pour ton ami le renard».

14 octobre 2012 : La nouvelle Constitution est adoptée en votation populaire.

11 novembre 2012: Moins d’un mois après le vote sur la nouvelle constitution, le PLR propose dans sa feuille de route «10 remarques et 10 propositions du PLR sur le budget 2013 bis» de déléguer les tirs de régulation aux chasseurs (7).

16 décembre 2016: Le PLR dépose le projet de loi 12043 pour supprimer la commission de régulation de la faune. Ce projet est rejeté à une voix près en 2018 (8).

12 juin 2025: 7 députés du Centre, du MCG et de l’UDC déposent le projet de loi 13661 pour supprimer la commission de régulation de la faune et déléguer aux chasseurs le tir de certaines espèces animales (9).

PL 13661 : Un projet de loi déposé sans panache ni courage

Comment ces députés comptent-ils s’y prendre cette fois-ci pour faire adopter leur PL? Vu la majorité de droite au Grand Conseil genevois, il ne devrait pas y avoir beaucoup d’efforts à fournir. Mais sait-on jamais. Dans le doute, autant ressortir les belles promesses utilisées lors de la votation de la nouvelle constitution. Extraits tirés de l’exposé des motifs du PL:

 «Genève est et demeure un canton sans chasse. Ce choix politique fort, réaffirmé par la population, constitue un socle identitaire de notre rapport à la nature»

Ainsi, leur PL vise à «répondre avec pragmatisme, cohérence et responsabilité aux défis contemporains de la cohabitation entre la faune sauvage et les activités humaines, en particulier agricoles et forestières.»

Oui, ils l’assurent avec beaucoup de conviction: «Ce projet ne remet aucunement en question le modèle genevois. Au contraire, il le renforce en hiérarchisant clairement les mesures (…) Loin d’ouvrir la voie à une dérive permissive ou à une banalisation du recours aux tirs, cette réforme encadre plus précisément qu’auparavant les conditions dans lesquelles des prélèvements peuvent être autorisés, en maintenant une gestion publique et centralisée sous contrôle démocratique. Elle garantit une traçabilité des décisions, une formation renforcée des intervenants, ainsi que l’exclusion de toute logique lucrative ou cynégétique».  Et puisque l’un des auteurs de ce PL, l’UDC Lionel Dugerdil, est lui-même membre de la Fédération des chasseurs genevois, on ne peut que les croire sur parole.

En bref, quelles mesures sont prévues dans ce PL qui vise une modification de la loi sur la faune? Les voici:

Article 37 : Suppression de la commission de régulation

Le principal objectif de ce PL est la suppression de la commission de régulation. Suppression qui est d’ailleurs courageusement passée sous silence dans l’exposé des motifs. Cette commission, composée de protecteurs des animaux et de la nature, est la seule dont le préavis adressé au Conseil d’État est liant. À savoir que si elle refuse le tir d’animaux, le Conseil d’État ne peut pas les autoriser. Ceux qui ne s’accommodent pas de cette situation essayent de faire croire que son statut aurait changé depuis qu’elle n’est plus mentionnée dans la constitution, mais dans une simple loi. Elle en serait devenue consultative. Mais cette affirmation opportuniste va à l’encontre des déclarations des constituants et des travaux du Grand Conseil lorsque la législation a été adaptée à la nouvelle constitution (10).

Prévue lors de l’interdiction de la chasse en 1974, la création de cette commission avait pour principal objectif de s’assurer que les tirs d’animaux répondent bien à une nécessité, et non à des manœuvres politiques. Si depuis plus de 50 ans il n’y a aucun chasseur dans la campagne genevoise et que ses habitant·e·s peuvent, à toute période de l’année, profiter de la nature sans risque de se faire tirer dessus, c’est grâce à cette commission.
À préciser qu’à ce jour, elle n’a jamais abusé de son pouvoir. Le département compétent a toujours pu mener une régulation lorsqu’elle était justifiée. Les tirs refusés n’avaient aucun fondement et ne visaient qu’à répondre aux pressions des pêcheurs (tirs de harles, hérons) ou des chasseurs (tirs notamment d’oiseaux, de renards et de blaireaux). Mais cette commission dispose aussi du pouvoir de refuser que des chasseurs tirent les animaux. D’où l’objectif, pour ce PL, de la supprimer.

À la place, les auteurs du PL proposent (art. 16, al. 2) qu’un préavis soit donné par la Commission pour la diversité biologique (CCDB), «renforçant la dimension scientifique et participative du processus». Cette commission étant composée en majorité de politiques et de représentants issus des milieux agricoles, forestiers, de la chasse et de la pêche, on comprend bien l’intérêt à solliciter cette commission-alibi. Par contre, la plupart de ses membres n’ayant aucune formation scientifique dans le domaine traité, la «dimension scientifique» de ses préavis risque de rester bien modeste.

Article 16 – Déléguer aux chasseurs le tir de certaines espèces animales

Pour s’éviter la critique d’ouvrir la totalité des tirs aux chasseurs, les auteurs du PL ont pris soin de créer la catégorie «grande faune» (art. 3, al. 7), qui comprend le sanglier, le cerf, le chevreuil, le blaireau et le renard, et dont le tir resterait de la compétence «aux agents spécialisés du département». Il faut comprendre: les gardes de l’environnement. Mais puisque la notion d’«agent spécialisé» n’a pas de définition précise, il n’est même pas sûr que les députés ne considèreront pas d’éventuels chasseurs comme «agents spécialisés», au motif qu’ils bénéficieraient d’un mandat de garde auxiliaire. Dans tous les cas, cette anomalie finira bien par être supprimée dans un deuxième temps par une nouvelle modification de la LFaune, et les sangliers comme les cervidés finiront par tomber sous les balles des chasseurs.

Pour les autres espèces animales, comme le cormoran dont les pêcheurs réclament depuis longtemps la régulation, c’est open bar. L’art. 16 du PL permet de délivrer des permis valables 5 ans, aux conditions de sécurité fixées par le service compétent.

Les promeneurs genevois devront-ils s’inquiéter de voir un jour se multiplier des groupes de chasseurs armés prenant possession des bois? Et si des permis sont délivrés, quels chasseurs en bénéficieront ?
Ce chasseur genevois dépressif qui a abattu 4 ânes (11) dans un pré en France voisine, tirant à onze reprises et rechargeant trois fois son arme? Ou cet autre chasseur genevois qui a abattu un bison en le confondant avec un sanglier lors d’une partie de chasse en Biélorussie? Ou encore celui qui a abattu un collègue il y a moins d’une année lors d’une partie de chasse (12) à Oulens-sous-Echallens?

Avec tant de mensonges et d’hypocrisie, il n’est pas étonnant que de nombreuses citoyennes et de nombreux citoyens se détournent de cette politique de politiciens. Trop de candidats se font élire pour défendre avant tout leurs intérêts personnels, au détriment de l’intérêt général.