Lorsqu’en octobre 2021 la Ville de Genève publie sa Charte de l’alimentation durable, adoptée par le Conseil administratif, elle suscite peu d’intérêt. Mais lorsque le Maire de la Ville, l’écologiste Alfonso Gomez a le courage de la mettre en application au début de l’été 2023, c’est une déferlante de désinformation et commentaires haineux qui s’abat.

La Ville de Genève végétalise ses assiettes.

Il n’y a pas que les trolls habituels et autres personnes qui se font un avis définitif à partir d’informations biaisées qui s’expriment. L’association Agrigenève, faîtière de l’agriculture genevoise, s’est elle aussi lancée dans une violente diatribe faites d’arguments absurdes et sortis de nulle part. Soutenue par quelques-uns de ses représentants de droite au Grand Conseil genevois, ventilant les mêmes affirmations sans visiblement avoir pris la peine d’en contrôler les sources. Les élections fédérales approchent, ces élus ont probablement flairé une bonne opportunité pour lancer des accusations à tout va, la mine consternée.

Une charte de la Ville de Genève novatrice

Contrairement à ce qu’a voulu faire croire Agrigenève, la Charte adoptée par la Ville vise au contraire des objectifs ambitieux et favorables à l’agriculture genevoise.
Partant du constat que selon les chiffres de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), l’alimentation serait responsable de 30% des émissions de gaz à effet de serre en Suisse, la charte met en place plusieurs mesures pour réduire l’impact climatique de la production alimentaire. Elle vise en premier lieu à favoriser une production agricole locale et de saison, et promeut l’utilisation de produits carnés issus de normes de détention telles que pratiquées en Suisse.
Comment les producteurs genevois font-ils pour ne pas comprendre que cette Charte favorise leurs intérêts ? C’est un mystère.

La Ville de Genève végétalise ses assiettes.

La charte impose l’utilisation de 70% de produits suisses au minimum, dont au moins 25% doit être issus du canton de Genève. 20% minimum de produits biologiques, 10% maximum de produits carnés, et un minimum de 80% d’œufs et de volailles issus d’élevages en plein air.

Les objectifs du nouveau maire Alfonso Gomez

C’est au début du mois de juin 2023, que le Conseiller administratif Alfonso Gomez présente ses objectifs à l’occasion de sa prise de fonction de maire de la ville de Genève. Alimentation durable et droits humains en lien avec l’urgence climatique sont notamment au programme.
Concernant l’alimentation, le maire vise l’organisation de banquets urbains majoritairement végétariens. Pour quelle raison ? «Parce que notre alimentation représente 30% de notre bilan carbone. On peut agir en diminuant notre consommation de viande, ce qui est aussi bénéfique pour notre santé, et en mangeant plus local. On peut passer un bon moment autour d’une table, différemment, en agissant sur notre bien-être et pour la planète», expliquait-t-il.

La première concrétisation de ces objectifs a eu lieu du 23 au 25 juin, sur les différents lieux participants à la fête de la musique situés sur le territoire de la Ville. Durant cette manifestation gratuite et festive qui offre au public une multitude de concerts et prestations musicales, les stands alimentaires ont reçu la consigne de proposer au minimum 65% de plats végétariens. Le reste pouvant être composé des habituels plats carnés tels que burgers, poulet et saucisses. Puis l’offre végétarienne a été étendue à 90% le 1er août, à l’occasion de la fête nationale.

Les agitations d’Agrigenève

Dans un courrier envoyé au maire de la Ville deux jours avant la fête de la musique, l’association AgriGenève, faîtière de l’agriculture genevoise, jugeait « inadmissible » la décision de la ville et dénonçait un «diktat alimentaire». Dans un communiqué envoyé aux médias, la faîtière agricole annonçait même que la Ville de Genève voulait «bannir la consommation de viande sur son territoire».
«On parle d’un événement organisé sur le domaine public, ce n’est pas à la commune de décider ce que les gens vont manger ou non», fustigeait François Erard, directeur d’AgriGenève et député centriste au Grand Conseil genevois.
Pour sa collègue de parti et agricultrice Patricia Bidaux, également Présidente d’Agrigenève, il s’agissait d’un «véritable coup d’assommoir pour l’économie locale» pour les éleveurs et la filière de la viande. «Le point de vue de l’agriculture genevoise, c’est qu’il faut consommer de la viande locale. Si l’on fait ce choix-là, comme nos capacités de production sont limitées, nous parviendrons automatiquement à une diminution des quantités consommées», assurait-elle.
En somme, exactement ce que préconise la charte de la Ville. Alors pourquoi ces agitations et ventilations d’explications absurdes ?

Des arguments absurdes et sortis de nulle part

Le 19 juin, c’est l’ancienne présidente de l’Union des paysannes et femmes rurales genevoises Patricia Läser qui prenait sa plume, accusant le maire de la ville de vouloir «bannir la viande des manifestations genevoises». Ajoutant qu’il devrait plutôt proposer que les «étals des diverses manifestations, les apéros et repas politiques soient en majorité à base de produits suisses», bien qu’il s’agisse une fois encore de l’un des objectifs de la charte. Puis elle terminait sa missive en conseillant au maire de la Ville «de ne pas rester derrière son bureau». Peut-être qu’elle aussi devrait ne pas se contenter de reprendre aveuglément des affirmations absurdes, sans s’assurer de leur bien-fondé.

Dans son courrier des lecteurs publié le 14 juillet 2023, le conseiller municipal genevois du Centre Alain Miserez y est lui aussi allé de sa petite liste de plaintes, commençant par condamner les verts pour vouloir «interdire le foie gras au niveau fédéral». Sauf que la motion déposée au Conseil national pour interdire ce produit a été déposée par un député UDC, et plébiscitée par un Parlement à majorité de droite par 119 voix contre 61 le 28 février 2022. Concernant la réduction de l’offre des produits carnés lors des fêtes et réceptions organisées par la Ville de Genève, qu’il qualifiait de «purement idéologiques», il se plaignait qu’elle «empêche les citoyens de choisir ce qu’ils peuvent manger», et terminait son courrier en prévoyant une augmentation du bilan carbone (!) en raison de «l’importation des denrées appréciées par les adeptes de cette alimentation (végétarienne)».

Comment l’application d’une charte novatrice, qui deviendra probablement la règle et un exemple d’ici quelques années, peut-elle provoquer autant de réactions dénuées de toute intelligence ?
Quel dommage, que chaque avancée vers une société plus juste et équitable suscite toujours autant d’opposition de principes et son lot de commentaires absurdes.