Alors que l’OCAN, le service en charge des tirs, déclarait que vacciner une partie des biches pour limiter leur reproduction n’était «pas éthique» – bien que plus de 67% de la population genevoise s’était prononcée pour cette méthode en remplacement des tirs – il ne voit aucun problème à abattre des faons sous les yeux de leur mère.
Le Conseil d’État genevois assurait que le tir des cerfs était une urgence, en raison de la multiplication de ces animaux dans les bois de Versoix et des importants dégâts qu’ils commettaient aux cultures et à la forêt. Résultat des tirs : la moitié des animaux abattus sont des jeunes encore incapables de se reproduire et qui ne font pas ou peu de dégâts.
Le Conseiller d’État genevois Antonio Hodgers, en charge du Département du territoire (DT), s’était réjoui le 16 janvier 2025 de la levée de l’effet suspensif concernant les tirs de cerfs par le Tribunal fédéral. Par voie de communiqué de presse (1), il déclarait vouloir appliquer «sans délai cette mesure visant à assurer la protection de la production agricole locale».
Car les dégâts commis aux cultures et aux forêts étaient tels, qu’à l’appel de nos voisins français et vaudois, il y avait urgence à commencer les abattages. Toute opposition n’était, selon lui, que sensiblerie, et les solutions proposées – par exemple une réduction des cheptels au moyen d’un vaccin immunocontraceptif comme le GonaCon (2) – étaient contraires à «l’éthique». Heureusement que l’ Office cantonal de l’agriculture et de la nature (OCAN), «préoccupé par les réalités du terrain», avait la tête sur les épaules et une vision claire, même dans l’obscurité. «Les spécialistes cantonaux de la gestion de la faune» allaient pouvoir reprendre les choses en main, et c’était très bien comme ça. Interviewé le même jour, le Conseiller d’État Antonio Hodgers déclarait (3) qu’en raison du délai écoulé durant le traitement du recours et de l’autorisation de tir arrivant à échéance le 31 janvier 2025, seuls 10 cerfs pourraient être abattus, au lieu des 40 prévus.
Tableau de chasse : 4 faons, 1 hère, 5 biches
À l’issue de la période de tir autorisée, une demande a été faite à l’OCAN pour connaître le nombre de cerfs abattus, ainsi que leur sexe et leur âge. Et la réponse est à tomber de sa chaise: sur les 10 animaux abattus, seule la moitié est composée d’adultes. Quatre sont des faons et le dernier est un hère.
Nous avons alors demandé à l’OCAN : «quelle est la stratégie concernant les tirs des jeunes, sachant que ces animaux n’auraient de toute façon pas encore été en âge de se reproduire l’année prochaine et de contribuer à une éventuelle augmentation des effectifs?»
Sa réponse, assez lunaire, illustre parfaitement les dérives dogmatiques de ce service :
«Pour faire un travail qui prend en compte la dynamique des populations et qui garantit une pyramide des âges naturelle (…) nous essayons de travailler avec un esprit de protection de la nature (…) Avec la présence du loup, c’est environ 50 % des 0-6 mois et 20 % des 6-1,5 an qui vont être prédatés (…) Pour nous, il est éthiquement totalement inadéquat de s’éloigner des dynamiques naturelles et de la pyramide des âges naturelle; nos actions doivent le moins possible interférer avec le sauvage.»
Quant à «l’urgence» de tirer des cerfs pour protéger les cultures et les forêts, elle semble tout à coup complètement secondaire pour l’OCAN. À la question de savoir pourquoi choisir de tirer un faon plutôt qu’un adulte – lequel commettra nécessairement davantage de dégâts si l’objectif est de soulager les agriculteurs ou de protéger les forêts – l’OCAN répond :
«(…) Il est vrai que l’effet immédiat est effectivement un peu moindre, mais sur le moyen terme, l’objectif sera atteint. Mais effectivement, il est atteint un peu moins vite.»
Les milieux agricoles, qui avaient applaudi des deux mains la décision du Tribunal fédéral et qui défendent les tirs de régulation, apprécieront de savoir que leurs revendications ne semblent pas susciter beaucoup d’intérêt. Ce qui compte pour l’OCAN, c’est sa vision très particulière de la nature et de son organisation. Parce que le spécialiste, c’est lui.
Tirs contraires aux arguments fournis par l’OCAN à la justice
Pour rejeter l’effet suspensif des tirs qu’Animal équité avait sollicité par voie de recours, le Tribunal fédéral citait dans son arrêt du 16 janvier 2025 l’argument préalablement émis par la Cour de justice genevoise, à savoir l’urgence à tirer les cerfs en raison de leur «impact négatif sur l’agriculture ainsi que sur la forêt». À l’aune des faits, on se rend compte que les arguments fournis par l’OCAN à la justice, et repris par celle-ci sont particulièrement fantaisistes. L’«urgence» à effectuer des tirs ne vise qu’à satisfaire les demandes de nos voisins vaudois et français, au mépris de l’interdiction de la chasse en vigueur dans le canton de Genève depuis 1974.
Les abattages reprennent: nouvel arrêté de tir des cerfs contesté en justice
Insatisfait des dix animaux abattus, le Conseil d’État genevois a émis, le 18 juin 2025, un nouvel arrêté pour tirer les cerfs dans les bois de Versoix. Son argument reste le même: «l’importance des dégâts que les cerfs provoquent localement aux cultures» et «les demandes des partenaires français et vaudois (forestiers et gestionnaires de la faune) de contribuer à l’effort de régulation de cette espèce au niveau régional». Cette fois-ci, l’OCAN espère pouvoir abattre 40 animaux.
Les avocats Romain Jordan et Brian Favre ont déposé, le 21 août 2025, un nouveau recours auprès de la Chambre administrative de la Cour de justice genevoise, recours porté cette fois-ci, en plus d’Animal équité, par une vingtaine d’habitant-e-s de la région des bois de Versoix. Mais le Conseiller d’État genevois Antonio Hodgers ayant pris soin de rendre l’arrêté applicable même en cas de recours, les tirs de cerfs par l’OCAN ont repris depuis le 1er novembre, et les animaux pourront être abattus jusqu’au 31 janvier 2026.
Plusieurs demandes de suspension des tirs ont été adressées par de nombreux habitant-e-s de Versoix et région au nouveau Conseiller d’État Nicolas Walder, en charge du DT depuis le 1er novembre 2025, suite à la démission d’Antonio Hodgers. D’autres solutions que les tirs existent. L’OCAN doit mettre fin aux abattages et, en tant que service public, tenir enfin compte du souhait de la majorité de la population.
Pour justifier l’abattage de 50 % de jeunes de moins d’un an, l’OCAN explique qu’il essaie «de travailler avec un esprit de protection de la nature (…) Avec la présence du loup, c’est environ 50 % des 0-6 mois et 20 % des 6-1,5 an qui vont être prédatés (…) Pour nous, il est éthiquement totalement inadéquat de s’éloigner des dynamiques naturelles et de la pyramide des âges naturelle». Aussi louable que paraisse ce raisonnement, il va à l’encontre de la pratique de tous les autres cantons, qui ne tirent qu’environ 25 % de jeunes. L’OCAN justifie les tirs de cerfs pour «contribuer à l’effort de régulation de cette espèce au niveau régional», mais fait le choix d’abattre des animaux qui échapperaient au fusil ailleurs.
Sources:
(2) https://sondage-geneve-faune.ch
(3) https://www.radiolac.ch/politique/leffet-suspensif-aux-tirs-de-cerfs-a-geneve-est-leve/
