
Le 10 septembre 2024, un postulat (1) déposé au Grand Conseil vaudois par la députée d’Ensemble à Gauche, Mathilde Marendaz, et soutenu par 26 signataires, demandait au Conseil d’État de publier un rapport sur, notamment, l’impact des chats sur la biodiversité et les mesures qui pourraient être entreprises.
Un mois plus tôt, les médias (2) informaient sur un nouveau projet d’initiative populaire élaboré par l’Association suisse pour la protection du climat, à l’origine de l’initiative pour les glaciers. Selon la NZZ am Sonntag, une partie du texte pourrait inclure un moratoire sur les chats et interdire leur élevage afin d’en stabiliser le nombre. D’après les documents de l’association, les 2 millions de chats vivant en Suisse tueraient chaque année 30 millions d’oiseaux et un demi-million d’amphibiens et de reptiles, dont plusieurs seraient des espèces en danger. Sans compter les émissions nocives générées par la production de leur nourriture.
Le chiffre de 2 millions de chats domestiques, qui comprend autant les animaux détenus par des propriétaires que ceux retournés à l’état sauvage, reste une estimation. À la différence des chiens, dont l’identification est obligatoire, le nombre exact de chats vivant sur le territoire reste inconnu. Et quel que soit le nombre de chats ayant un accès libre à l’extérieur, leur impact sur la biodiversité est une évidence. Pour autant, celui-ci est-il correctement analysé ? Ou, au contraire, est-il exagéré? Pour le savoir, rien de plus simple: il suffit de se rapporter aux références utilisées et d’étudier la méthodologie ainsi que les données issues de ces publications scientifiques.
Analyse méthodologique des références utilisées dans le Postulat
Prenons l’exemple du postulat de la députée vaudoise Mathilde Marendaz. Concernant l’impact des chats sur la faune, il s’appuie sur deux articles publiés dans des médias (un par la RTS et un par le quotidien Le Temps), ainsi qu’un troisième publié par l’association Pro Natura. Pour une députée qui se déclare doctorante en géographie et chercheuse à l’Université de Genève, il est plutôt étonnant que son argumentation ne se réfère à aucune publication scientifique, mais uniquement à des médias généralistes et à une organisation de protection de l’environnement.
La première source utilisée est un article de la RTS, publié le 4 janvier 2024 dans le cadre de son émission radio La Matinale et intitulé «Le chat, ce compagnon qui menace la biodiversité» (3). L’article se réfère à «deux études récentes» portant sur le comportement prédateur des chats, qui seraient «l’une des espèces invasives les plus problématiques au monde».
La première étude (4), écrit la RTS, «a identifié plus de 2 000 espèces chassées par les chats. Dix-sept pour cent sont des espèces menacées». Quant à la deuxième étude, elle se réfère à une grande enquête participative menée en France (5). «Cinq mille chats ont été suivis pendant sept ans. Leurs propriétaires étaient invités à documenter toutes leurs différentes proies et en ont recensé 40 000 au total.»
Un massacre ? Dans les faits, et à la lecture de la publication en question, le constat est plutôt le suivant: chaque chat étudié a capturé en moyenne… une seule proie par année! Écrit ainsi, le résultat devient beaucoup moins spectaculaire. Pourtant, les auteurs de l’étude tentent d’en tirer des extrapolations aux résultats alarmistes. La lecture de l’étude suffit pourtant à évaluer la faiblesse de la méthodologie:
L’étude a été menée sur une durée de huit ans, avec la collaboration de 4 095 propriétaires de 5 048 chats. Chaque participant devait rapporter et identifier les proies ramenées à domicile par chacun des chats.
Le premier biais vient déjà de la fiabilité des données enregistrées, qui ne reposent que sur l’observation des propriétaires. Sans tenir compte, par exemple, de leurs absences du domicile, ce qui peut fausser l’estimation du nombre réel de proies capturées. Cela pourrait expliquer le faible nombre de proies quantifiées. Car le nombre total d’animaux prédatés sur les huit années de référence s’élève seulement à 36 568 individus, dont 68,3% de petits mammifères (campagnols, souris et musaraignes), 21,4% d’oiseaux (passereaux) et 8,4% de reptiles (lézards).
Les auteurs précisent encore que, parmi les 4 095 propriétaires de chats, 3 073 n’ont déclaré qu’une seule proie sur les huit ans de l’étude. Malgré la faiblesse des données récoltées, les auteurs écrivent pourtant: «Sachant que le nombre de proies ramenées à la maison sous-estime le nombre réel de proies capturées, nous devons maintenant évaluer la quantité de proies disponibles dans le domaine vital d’un chat et combien sont réellement capturées à l’intérieur, pour comprendre pleinement l’impact de la prédation.» Avant de se lancer dans une analyse à charge, avec pour préambule l’affirmation que les chats domestiques «sont des prédateurs opportunistes et généralistes qui sont considérés comme l’une des 100 pires espèces invasives au monde, menaçant de nombreux mammifères, oiseaux, reptiles et amphibiens.»
Quant à la première étude citée par la RTS, qui aurait «identifié plus de 2 000 espèces chassées par les chats», dont «17% seraient des espèces menacées», il s’agit d’une référence à un article publié dans la revue Nature le 12 décembre 2023 par des chercheurs américains et intitulé «Une synthèse et une évaluation globales du régime alimentaire des chats domestiques en liberté».
Les auteurs, qui ambitionnent de faire progresser la problématique des chats en termes de gestion et de politique, décrivent les «nombreuses maladies» que les chats transmettent, «notamment la toxoplasmose, la peste et la rage», et ont compilé 533 études, dont 288 concernent des îles.
Le régime alimentaire des chats a été étudié notamment en Afrique, en Asie, en Australie, en Europe, en Amérique du Nord et en Amérique du Sud. Ainsi, les proies correspondaient à l’environnement dans lequel les chats vivaient.
Il ne s’agit donc pas d’une étude renseignant sur l’impact des chats dans un environnement défini, mais d’une compilation de données issues d’environnements aussi divers que variés.
Les 2 084 espèces différentes consommées par les chats correspondent aux multiples biotopes étudiés. Il est dès lors difficile d’extrapoler ces données pour les appliquer à un pays comme la Suisse, dont la répartition des oiseaux et autres petits mammifères diffère de celle d’autres continents. D’autant plus que l’étude relève que la problématique des espèces menacées concerne surtout les îles (25,22% contre 8,62% sur les continents). Les données concernant l’Europe indiquent par ailleurs que 86,30% des proies consommées sont de «préoccupation mineure».
L’article du Temps ne présente pas d’intérêt particulier, puisqu’il reprend les informations publiées par la RTS, sur fond de polémique provoquée par l’Association suisse pour la protection du climat.
Enfin, la page web de Pro Natura (6), citée par la députée vaudoise, traite du déclin de la biodiversité, mais sans aucune référence à l’impact que pourraient avoir les chats sur celle-ci, du moins le 14.02.25, date à laquelle cette page a été consultée.
Ainsi, les sources du postulat reposent sur une étude américaine qui indique que, selon la littérature scientifique disponible, les chats ne constituent pas un problème sérieux pour la biodiversité en Europe ; et une étude française à la méthodologie douteuse et aux résultats aberrants, qui attribue à chaque chat la capture d’une seule proie par an.
Analyse des références citées par les organisations de protection de la nature et des oiseaux en Suisse
La fronde contre les chats se retrouve dans la communication de nombreuses organisations suisses de protection de l’environnement ou d’espèces animales.
À l’exemple du KARCH, pour qui les chats domestiques sont «un cauchemar pour de nombreux reptiles». Pour cette organisation, les chats vivant en zone urbaine «contribuent assurément au fait que certaines espèces de reptiles sont devenues rares, voire même ont totalement disparu». Chaque année, «plus d’un demi-million d’amphibiens et de reptiles» seraient tués par des chats, affirme le KARCH, sans indiquer de source (7).
Quant à l’Association suisse pour la protection des oiseaux BirdLife, elle affirme (8) que les chats seraient responsables de 12,8 à 26,3% de la mortalité des oiseaux dans les parcs et jardins de France et de Belgique. Les grenouilles, tritons, lézards et orvets seraient également fortement impactés.
Ses propos se basent sur une étude menée en 2019, intitulée «Prédation des chats domestiques sur les oiseaux de jardin : Une analyse à partir des programmes de baguage européens» (9).
Dans les faits, l’étude avait pour objectif d’analyser la prédation des chats en milieu urbain, en se basant sur des données enregistrées d’oiseaux de jardin bagués entre 2000 et 2015. Globalement, si le nombre d’oiseaux prédatés est bien estimé entre 12,8 et 26,3%, comme l’écrit BirdLife, les auteurs précisent également que ce chiffre «se situe dans le même ordre de grandeur que les décès dus aux collisions avec les fenêtres».
Point de vue de l’Office fédéral de l’environnement
Selon les statistiques de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), mises à jour le 18 juin 2024, 205 espèces d’oiseaux nichent en Suisse (10). Parmi celles-ci, 83 (soit 40%) sont menacées. Pour l’OFEV, «La situation des oiseaux nicheurs en Suisse reste inchangée depuis 2010. Certaines espèces ont vu leur population se reconstituer, d’autres sont toujours fortement menacées (…) La fragmentation et la monotonie des habitats, le manque de nourriture lié à la disparition des insectes, la pollution des sols par les nutriments d’une part, mais aussi les lignes de contact des voies ferrées et les éoliennes d’autre part, sont autant de facteurs qui mettent les oiseaux nicheurs à rude épreuve dans le paysage rural.»
Ainsi, il n’est fait nulle mention du chat comme cause possible de la baisse du nombre d’oiseaux annoncée par les ONG environnementales, ni d’une baisse du nombre d’oiseaux tout court.
L’Office fédéral de l’énergie et ses 30 millions d’oiseaux tués par des chats
En réponse à une question (11) posée en 2021 par le conseiller national (Vert’libéraux) vaudois François Pointet, le Conseil fédéral répondait que, bien qu’en l’absence d’étude sur le nombre d’oiseaux victimes des activités humaines en Suisse, on ne puisse faire «que des estimations grossières», l’Office fédéral de l’énergie (l’OFEN) estimait que «35 millions d’oiseaux environ sont tués chaque année: quelque 30 millions à cause des chats domestiques, près de 5 millions suite à une collision avec une façade vitrée et environ 1 million à cause du trafic».
Sachant que la Station ornithologique suisse estime le nombre de couples nicheurs en Suisse à environ 10 millions (12), soit environ 20 millions d’oiseaux, il reste ouvert de comprendre comment l’OFEN peut attribuer aux chats la prédation d’un nombre d’oiseaux plus élevé qu’il n’en existe réellement. Le fait qu’aucun service du Parlement ne soit intervenu pour éviter au Conseil fédéral de reproduire cette affirmation fantaisiste, largement reprise sans être contrôlée par les médias, interroge également.
Interpellé, l’OFEN répondra le 2 octobre 2024 qu’il s’est inspiré d’une étude (13) menée dans le sud-est du Michigan (USA) et publiée en 2003 par Lepczyk et al. Celle-ci a consisté à interroger 253 propriétaires répartis sur trois itinéraires de paysages ruraux-urbains, totalisant 656 chats ayant accès à l’extérieur. À l’aide d’un questionnaire envoyé en octobre 2020, les propriétaires ont dû indiquer combien d’oiseaux blessés ou morts avaient été ramenés «par semaine» par leurs chats entre avril et août, période correspondant à la nidification. Les chercheurs ont par la suite mis en œuvre plusieurs méthodologies afin d’inclure dans leurs statistiques des réponses «incertaines» ou des estimations des oiseaux prédatés fournies par les propriétaires. Au total, les chercheurs estiment que 3 680 oiseaux auraient été tués «sur l’ensemble de la saison de reproduction». Pour rendre leurs résultats un peu plus attractifs, les chercheurs se sont ensuite lancés dans un calcul plus ambitieux, estimant (sur quelle base ?) que «15 à 56% des propriétaires fonciers pourraient avoir des chats d’extérieur», provoquant une «mortalité de 16 000 à 47 000 oiseaux».
Le premier biais de l’étude provient des données transmises par les propriétaires, qui ont dû estimer a posteriori le nombre d’oiseaux prédatés par leur animal des mois plus tôt, avec toutes les erreurs que cette méthode comporte. Puis des chercheurs eux-mêmes, qui ont manipulé des données pour en tirer des statistiques à la hausse. Quant à l’OFEN, il n’a visiblement lu que l’abstract de l’étude, sans quoi il aurait compris que celle-ci ne concernait qu’une période où les oiseaux encore au nid ou apprenant à voler sont particulièrement vulnérables, et que multiplier ces données par les 52 semaines composant une année n’a rien de rigoureux. Mais comme ce service l’écrit lui-même, «il est également important de souligner que le comportement de chasse des chats n’est pas le domaine de compétence de l’OFEN». Ce qui est peu dire. Mais alors, pour quelle raison ce service a-t-il été sollicité pour produire une réponse à une question qui sort de sa compétence, et surtout, compte-t-il publier un rectificatif?
Situation dans le bassin lémanique
C’est dans le cadre d’un travail de diplôme (14) mené au sein de la Haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève, qu’une étude intitulée «Prédation du chat domestique, Felis catus (Linnaeus, 1758) sur la faune sauvage, dans une commune péri-urbaine de Haute-Savoie (74)» a été publiée en 2016.
En préambule, l’auteur reprend diverses affirmations, parfois mot pour mot, citées dans les études mentionnées ci-dessus, à l’exemple du fait que le chat domestique «figure dans la liste des 100 espèces exotiques envahissantes parmi les plus néfastes au monde». Pour son étude, l’auteur a estimé la prédation par le biais d’un questionnaire transmis à 30 propriétaires de 44 chats vivant sur la commune de Feigères, durant une période de trois mois. L’auteur relève que ses données restent indicatives. Il est possible que des proies ne soient pas ramenées au domicile, que le propriétaire soit absent, ou qu’il oublie de noter une proie.
Selon l’étude, un total de 163 proies ont été tuées (86 micromammifères, 69 oiseaux, 8 reptiles), pour une moyenne de 3,7 proies par chat. Neuf espèces d’oiseaux ont été identifiées, principalement le moineau domestique (58%) devant le merle noir (13%). Pour l’auteur, «l’extrapolation des résultats à l’échelle de la commune montre que 2068 proies, dont 878 oiseaux, ont été potentiellement tuées entre mi-avril et mi-juillet».
Pour quantifier le nombre de chats sur la commune et arriver à ce chiffre, l’auteur a fait du «porte-à-porte», mais sans indiquer le taux de réussite, sur une zone de 4,22 hectares. Le chiffre de 29 chats dénombrés a été extrapolé à la surface de 81,22 hectares de zones comprenant des habitations. Pour l’auteur, «on peut donc estimer qu’il y a 559 chats domestiques à Feigères, soit une densité de 6,87 chats par hectare en zone UA et UB et de 0,80 chat par hectare sur l’ensemble de la commune». La réalité est qu’une fois encore, toutes les données tirées de cette étude reposent sur des «extrapolations» fondées sur des sources peu fiables. Pourtant, l’auteur n’hésite pas à conclure qu’au vu de ses extrapolations, «ces chiffres laissent supposer que le chat domestique peut entraîner le déclin de certaines espèces». Le seul aspect amusant de cette étude est de constater, après s’être livré à une «extrapolation» supplémentaire, que la prédation des chats rapportée à une population de 2 millions d’individus donne un résultat presque deux fois moins élevé que les «30 millions d’oiseaux et 500 000 amphibiens et reptiles» annoncés avec alarmisme par les organisations suisses de protection de l’environnement.
Affirmation d’autres ONG européennes de protection des oiseaux
Au niveau européen, certains organismes de protection des oiseaux sont moins virulents à l’encontre des chats. À l’exemple de la Ligue royale Belge pour la protection des oiseaux, qui rappelle que le premier destructeur de la biodiversité reste l’humain (15). Parmi les causes liées à la réduction du nombre d’oiseaux de jardin, la Ligue royale cite l’étude de Pavisse et al. (2019), qui attribue 25,7% de la mortalité à des collisions avec des bâtiments hauts et des fenêtres, 18,6% aux tirs et 17,6% au piégeage délibéré. La prédation par les chats ne vient qu’en quatrième position, avec 16,3%. Parmi les proies du chat, 80% sont des espèces communes, comme le pigeon ramier, le merle noir, le moineau domestique, la mésange charbonnière, le rouge-gorge familier ou encore la mésange bleue.
La Ligue cite encore différents auteurs qui ont essayé d’estimer la quantité de proies d’un chat par an en moyenne, avec une grande variété allant de 7 proies/chat/an (Lepczyk et al., 2004) à 28,9 proies par an (Howes, 2002). Mais il faut noter que tous les chats ne chassent pas des proies. Par exemple, les chats d’intérieur qui ne sortent pas ne peuvent, par conséquent, pas chasser. Lepczyk et al. estiment que plus de 50% des chats n’attrapent aucune proie, ce qui rejoint l’estimation de Baker et al. (2008), selon laquelle 60% des chats ne chassent pas.
Conclusion
De par sa nature de chasseur, le chat qui a un accès extérieur ou qui vit en liberté (chat haret) a incontestablement un impact sur la faune environnante. Pour autant, en faire une cible privilégiée responsable de la perte de biodiversité ou de la disparition de certaines espèces en Suisse ou en Europe occidentale ne repose sur aucune donnée sérieuse. Les organisations qui alarment sur ce sujet ne reproduisent que les conclusions d’études souvent mal réalisées, dont le moteur des auteurs, partagé par de nombreux biologistes, semble plus provenir d’un rejet de cet animal au motif qu’il s’agit d’une espèce non indigène, que d’une volonté de produire un travail scientifique rigoureux. Des études aux résultats aberrants, à l’exemple de celle menée en France (5), sont malgré tout utilisées comme sources fiables et reprises par les médias sans contrôle. Pourtant, un simple coup d’œil sur la méthode employée suffit à remettre en cause les conclusions des auteurs.
En faisant abstraction de la faiblesse des échantillons collectés dans les différentes études mentionnées ci-dessus et du biais qui consiste à n’avoir collecté des données qu’en faisant appel à un volontariat, avec tous les manquements ou erreurs que cela implique, il ressort des informations publiées et qui pourraient s’appliquer à un pays comme la Suisse ceci :
1) Environ 70% de toutes les proies capturées par des chats sont des petits mammifères. La plupart sont des rongeurs, principalement des souris, campagnols, musaraignes et mulots.
La prédation des chats contre ces animaux considérés comme des «ravageurs» est-elle pour autant un problème? Notre pays déploie des moyens importants pour viser leur élimination: dans le domaine agricole, pour protéger les cultures et les récoltes; dans les élevages, par l’industrie agroalimentaire; et dans les égouts ou en milieu urbain pour des questions de santé publique, ces animaux pouvant être porteurs de pathogènes indésirables (16).
L’utilisation de rodenticides chimiques est la plus courante. Bien que des composés extrêmement toxiques comme l’arsenic, la strychnine ou la chloropicrine ne soient plus autorisés en Suisse, les produits actuels, difficilement dégradables et souvent composés d’anticoagulants, restent problématiques en raison d’un risque de dispersion de contamination environnementale, d’ingestion par des espèces non-cibles lors de prédation, par exemple par des mustélidés, des renards ou des rapaces.
Dans le domaine agricole, rien que pour la protection du stockage des récoltes, ce sont près de 3 tonnes de produits chimiques qui ont été utilisés durant l’année 2018 (17).
Dans sa réponse à l’interpellation de la Conseillère aux États (Les Vert-e-s) vaudoise Céline Vara, le Conseil fédéral confirmait le 28 août 2024 qu’en Suisse, «des résidus de rodenticides anticoagulants ont effectivement été trouvés dans des renards morts et des oiseaux de proie accidentés, et aussi dans des hérissons et des poissons» (18). Cette réponse «minimaliste» trouve sa source dans une étude commandée par l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) auprès du centre ecotox et publiée en novembre 2022. L’analyse a porté sur 25 renards, 21 rapaces, 4 hérissons et 41 poissons. Le foie des animaux a été homogénéisé puis soumis à une extraction. Sept rodenticides anticoagulants (sur les huit rodenticides homologués en Suisse) ont été quantifiés par chromatographie liquide couplée à la spectrométrie de masse.
De 1 à 4 rodenticides ont été détectés dans 92% des renards examinés. Chez 24% d’entre eux, leur concentration a été jugée potentiellement dangereuse. La concentration moyenne était plus de 30 fois plus élevée chez les renards âgés que chez les jeunes, ce qui suggère une accumulation dans les tissus au cours de la vie.
Chez les rapaces, 95% des animaux contenaient de 1 à 4 rodenticides anticoagulants et la concentration dépassait 100 ng/g chez 14% d’entre eux. Deux buses affichaient une teneur supérieure à 400 ng/g.
Les quatre échantillons de hérisson contenaient des rodenticides. Ceux-ci ne mangeant pas de rongeurs, cela peut démontrer qu’en milieu urbain, une contamination de fond des animaux sauvages est possible.
L’étude des poissons indique une contamination assez générale des organismes aquatiques, puisque 73% des sujets examinés contenaient des rodenticides dans le foie (19).
Plus généralement, les rodenticides font partie des pesticides les plus communément impliqués dans les intoxications mortelles des mammifères et oiseaux en Europe. Selon des analyses menées notamment en France, en Espagne, au Royaume-Uni et au Danemark, la contamination par ces pesticides touche de 60 à 80% des rapaces et systématiquement plus de 80% des mammifères qui prédatent des rongeurs.
2) Environ 20% des proies prédatées par des chats sont des oiseaux, majoritairement des espèces communes comme le moineau, le pigeon ou le merle.
Selon la plupart des études menées en Europe occidentale, la majorité des oiseaux prédatés appartiennent à des espèces plutôt abondantes. Mais toutes ces données reposent sur de petits échantillons d’animaux, aux résultats peu représentatifs. Malgré ces biais, de nombreux chercheurs extrapolent ces résultats à une population estimée de chats, dont le nombre exact reste inconnu. Ainsi, on peut lire dans une revue de la littérature (20) publiée en 2020 qu’une étude menée en Pologne sur la prédation par les chats de ferme estime «qu’en moyenne 136 millions d’oiseaux sont tués chaque année». Une autre étude menée au Canada attribue aux chats la mort de 100 à 350 millions d’oiseaux par an, ce qui en ferait «probablement la plus grande source de mortalité aviaire liée à l’homme au Canada». Une autre étude menée en Australie leur attribue la mort d’environ 377 millions d’oiseaux par an, «soit un million d’oiseaux par jour», etc.
3) L’homme est la première cause de la baisse du nombre d’oiseaux.
La raréfaction de certaines espèces et la baisse du nombre d’oiseaux sont principalement dues à l’activité humaine. Selon une estimation menée par l’administration wallonne (l’une des trois régions de la Belgique), la pratique intensive de l’agriculture et de la sylviculture, par la dégradation et la transformation des habitats qu’elle induit, serait responsable de la perte de 59% des effectifs d’oiseaux entre 1990 et 2021, contre une moyenne de 38% pour l’ensemble du territoire. Ce déclin concernerait autant les espèces liées aux grandes cultures que celles associées aux prairies (21).
Au niveau de la Confédération, relevons aussi quelques particularités concernant la protection des oiseaux. À l’exemple de la bécasse des bois, inscrite comme espèce vulnérable, mais dont la chasse est toujours autorisée et qui se solde par l’abattage d’environ 1500 à 2000 individus par an (22).
La loi fédérale sur la chasse (23) autorise la chasse durant une partie de l’année de plusieurs espèces d’oiseaux, comme le pigeon ramier, le coq du tétras lyre, la pie et le geai des chênes (selon la dernière version de l’OChP (24)). D’autres peuvent même être abattues toute l’année. Il s’agit de la corneille noire et du pigeon domestique retourné à l’état sauvage.
Quelles solutions pour réduire la prédation des chats?
Parmi les propositions émises par les publications ou ONG citées, on trouve quelques absurdités, comme empêcher les chats de sortir du domicile de leur propriétaire, établir des couvre-feux, les promener en laisse ou même les attacher à une longe de quelques mètres dans un jardin, ou encore limiter le nombre de chats par foyer. D’autres propositions sont plus éclairées et certaines sont même soutenues depuis des années par de nombreuses organisations de protection des animaux. Il s’agit, par exemple, de rendre obligatoire le marquage des chats pour réduire les risques d’abandon en milieu naturel.
Il est également proposé de réduire les populations de chats haret en menant des campagnes étendues de castration afin de contribuer à la limitation de la reproduction des populations de chats libres. Des dispositions similaires sont déjà en place dans plusieurs pays, comme l’Autriche depuis 2016, ou des régions européennes, comme la Wallonie depuis 2017, puis l’ensemble de la Belgique depuis 2018 (25). La mesure concerne la totalité des chats, à l’exception des élevages.
En Allemagne, la plupart des Länder ont autorisé les villes et les communes à imposer une obligation de castration des chats évoluant en liberté, à l’exemple de la ville de Paderborn, qui impose cette mesure depuis 2008. Malheureusement, en Suisse, toutes ces tentatives se sont heurtées à un refus des autorités ou des politiques.
Des propositions toutes refusées au Parlement
Un premier postulat (26) demandant l’obligation de marquer les chats par une puce électronique, à l’exemple des chiens pour lesquels il s’agit d’une obligation depuis 2006, a été déposé au Conseil national en 2013, avant d’être rejeté par le Conseil fédéral puis classé sans suite par le Parlement en 2015.
Une motion (27) demandant cette fois l’obligation de castrer les chats harets a été déposée le 29 novembre 2018 au Conseil national. Dans sa réponse du 20 février 2019, le Conseil fédéral rejetait la motion. Dans une prise de position publiée le 3 octobre 2018, l’OSAV estimait déjà qu’il serait «disproportionné et inopportun d’instaurer l’obligation de castrer en Suisse toutes les chattes et tous les chats domestiques, libres et errants». Il s’agirait d’une «ingérence dans la liberté des détenteurs et n’améliorerait pas nécessairement la situation des chats errants, vu que ces animaux n’ont justement pas de propriétaire». L’OSAV craignait également que la charge du financement et des mesures reportées sur le secteur conduise «à une charge quasi insurmontable». La motion a été refusée par le Conseil national le 29 octobre 2020.
Une motion (28) visant tant le marquage que la castration des chats harets a été déposée le 15 août 2019 par la Commission de la science, de l’éducation et de la culture du Conseil national. Elle a également été rejetée par le Conseil fédéral le 13 novembre 2019, puis par le Conseil national le 10 décembre 2019.
Collerette pour chats
Autre moyen d’action possible: rendre plus difficile la capture des proies par les chats «spécialistes». Les études démontrent que seule une partie des chats chasse des proies. Selon les données relevées, entre 10 et 50% des chats ne semblent pas chasser. Une autre partie des animaux chasse, mais avec peu de succès. Mais environ 10% des chats tuent chaque année un grand nombre de proies. Pour réduire leur impact sur la faune, des études font état d’une réduction de la prédation allant jusqu’à 70% lorsque les chats portent une collerette de type Birdsbesafe (29), en raison des couleurs vives qui composent le tissu. Cette collerette se glisse sur le collier, ne comporte aucun risque pour les chats et est adaptée aux colliers conçus pour se libérer en cas d’accrochage à un objet.
Sources :
(1) https://www.vd.ch/gc/depute-e-s/detail-objet/objet/24_POS_38/membre/624913
(3) https://www.rts.ch/info/sciences-tech/14598525-le-chat-ce-compagnon-qui-menace-la-biodiversite.html
(4) A global synthesis and assessment of freeranging domestic cat diet
https://www.nature.com/articles/s41467-023-42766-6
(5) Spatiotemporal and Individual Patterns of Domestic Cat (Felis catus) Hunting Behaviour in France, publié le 14.11.2023
https://www.mdpi.com/2076-2615/13/22/3507
(6) https://www.pronatura.ch/fr/biodiversite-la-diversite-du-vivant-decline-rapidement
(8) https://www.birdlife.ch/fr/content/chats_et_oiseaux
(9) Domestic Cat Predation on Garden Birds: An Analysis from European Ringing Programmes, May 2019
https://www.researchgate.net/publication/332948942_Domestic_Cat_Predation_on_Garden_Birds_An_Analysis_from_European_Ringing_Programmes
(11) https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20218110
(12) https://www.vogelwarte.ch/modx/fr/atlas/evolution/effectifs
(13)Lepczyk, C. A., Mertig, A. G., & Liu, J. (2004). Landowners and cat predation across rural-to-urban landscapes. Biological Conservation, 115(2), 191-201.
https://www.concordanimals.com/Links/PDF/Landowners_and_cat_predation.pdf
(14) Vuagnat-Kolter, M. (2016, avril). Prédation du chat domestique, Felis catus (Linnaeus, 1758) sur la faune sauvage, dans une commune péri-urbaine de Haute-Savoie (74). https://www.researchgate.net/publication/313298478_Predation_du_chat_domestique_Felis_catus_Linnaeus_1758_sur_la_faune_sauvage_dans_une_commune_peri-urbaine_de_Haute-Savoie_74
(15) https://protectiondesoiseaux.be/chat-et-predation/
(16) Interpellation 22.3600 de la conseillère nationale (Les vert-e-s) vaudoise Léonore Porchet « Rodenticides. Quid de l’utilisation des anticoagulants et quelles alternatives existe-t-il? »
https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20223600
(17) 2179 kg de dioxyde de silicium, 527 kg de phosphure d’aluminium, 32 kg de phosphure de magnésium, 35 kg de pyréthrine, 12 kg de deltaméthrine et 11 kg de cyperméthrine.
Interpellation 19.4610 de la conseillère nationale (Vert’libéraux) zurichoise Tiana Angelina Moser « Protection des récoltes. Il est urgent d’agir »
https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20194610
(18) https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20243630
(20) Domestic cats and their impacts on biodiversity: A blind spot in the application of nature conservation law (Les chats domestiques et leurs impacts sur la biodiversité : un angle mort dans l’application du droit de la protection de la nature) Février 2020
https://besjournals.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1002%2Fpan3.10073
(21) http://etat.environnement.wallonie.be/contents/indicatorsheets/FFH%208.html#
(22) https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20227584
(23) https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/1988/506_506_506/fr
(24) https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/1988/517_517_517/fr
(25) https://bienetreanimal.wallonie.be/home/animaux/animaux-de-compagnie/sterilisation-des-chats.html
(26) https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20133698
(27) Motion 18.4119 de la Conseillère nationale (PLR) zurichoise Doris Fiala « Réduire la souffrance des animaux grâce à l’obligation de castration des chats libres de leurs déplacements ».
https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20184119
(28) https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20193959