Dans sa dernière publicité pour la promotion du lait, Swissmilk déplore que les boissons végétales soient «souvent assimilées à tort au lait». La publicité s’appuie sur les données d’une «nouvelle étude menée en Suisse» ayant analysé la valeur nutritionnelle du lait en comparaison de 8 variétés de boissons végétales. Pour la fédération des producteurs suisses de lait, «le résultat est sans appel». Sauf que l’étude ne dit pas vraiment la même chose.
Graphique à l’appui, Swissmilk explique que «ce n’est pas seulement la quantité de nutriments qui compte, mais aussi la manière dont notre corps les assimile. Le lait marque des points dans les deux cas». Le lait contiendrait « davantage de protéines que la plupart des boissons végétales. (…) En ce qui concerne la teneur en graisses, le lait occupe aussi la première place. Comparé aux boissons végétales, le lait bénéficie d’un très bon rapport entre les acides gras oméga 6 et oméga 3 ».
Graphique publié par Swissmilk
Sauf que l’étude n’est pas aussi dithyrambique : Concernant les protéines dites «complètes» (composée des 9 acides aminés essentiels), la boisson au soja en contient plus que le lait, et sa digestibilité (DIASS) peut globalement être considérée comme équivalente. La DIASS du soja est supérieure au lait de vache pour les enfants de leur naissance à 6 mois (Soja : 71.2 % / lait : 65.4 %), ce qui est une excellente nouvelle pour les femmes ne pouvant pas allaiter leur bébé. A l’inverse, la DIAAS est inférieure pour les enfants de 6 mois à 3 ans (91.9/123.5) et les adolescents et adultes (107.6/145.0).
Autre donnée intéressante, le lait et le soja contiennent les mêmes acides aminés indispensables limitants dans deux classes d’âges. Pour les nourrissons jusqu’à 6 mois, le premier acide aminé limitant est le tryptohane. Pour les enfants de 6 mois à 3 ans, il s’agit de la méthionine (acides aminés soufrés).
Un acide aminé limitant est un acide aminé présent en plus faible quantité dans un aliment, ce qui peut induire une diminution de l’utilisation par l’organisme des protéines. Les analyses démontrent ainsi que contrairement à ce qui est souvent annoncé, les protéines animales ne se composent pas systématiquement d’acides aminés en suffisance.
Trop de graisses saturées dans le lait
Pour les chercheurs, le lait contient aussi trop de graisses saturées, soulevant des inquiétudes «quant à la manière dont sa consommation élevée pourrait être associée aux pathologies cardio-vasculaires et métaboliques et au diabète».
Il contient aussi peu d’oméga-3 et oméga-6, à la différence de la plupart des boissons végétales. Les auteurs de l’étude concluent qu’à l’exception de la noix de coco « les boissons végétales sont clairement avantagées par leurs proportions plus élevées d’acides gras monoinsaturés et polyinsaturés ».
Swissmilk répond que le faible rapport entre oméga-6 et oméga-3 (2 à 3 :1) dans le lait en comparaison du soja (7 à 8 : 1) est meilleur pour la santé, ce qui est correct d’un point de vue comptable, l’OMS conseillant de ne pas dépasser un ratio de 5 à 10 pour 1, la valeur la plus basse étant à privilégier. La raison étant que les oméga-3 aux propriétés anti-inflammatoires sont en concurrence avec les oméga-6, aux propriétés plutôt pro-inflammatoires. Mais la quantité d’oméga-3 et oméga-6 est quatre fois supérieure dans le soja. Et dans l’une des sept boissons au soja analysée, la quantité d’oméga-3 était même supérieure à celle des oméga-6.
Swissmilk continue, expliquant que concernant la teneur en micronutriments, «les boissons végétales sont bien différentes du lait». Effectivement, la plupart des boissons végétales contiennent des micronutriments, comme des vitamines ou des oligo-éléments absents dans le lait. De même que le lait contient des micronutriments absents dans certaines boissons végétales. Swissmilk conclut sa publicité en laissant la parole à la «nutritionniste» Barbara Walther: «D’un point de vue nutritionnel, les boissons végétales ne sont pas une alternative équivalente au lait de vache. Si vous remplacez complètement le lait par les boissons végétales, vous devez en tenir compte dans l’alimentation globale.»
Ni lait, ni boissons végétales
En pratique, personne ne devrait considérer une boisson végétale comme un aliment. De même, la consommation de lait de vache par un être humain devrait être considérée comme une anomalie, alors que nos traditions alimentaires tendent à la normaliser.
Le lait de vache est beaucoup trop gras pour être envisagé comme aliment. Il contient également des hormones et d’autres facteurs de croissance naturellement produits par l’animal pour le développement du veau. Ingéré en trop grandes quantités par l’humain, ils pourraient favoriser la prolifération des cellules cancéreuses selon plusieurs études, dont une publiée en 2012 par l’Anses (Agence française de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail).
Quant aux boissons végétales, à l’exception du soja, elles sont souvent beaucoup trop riches en glucides et d’un faible intérêt nutritif. Les boissons à l’avoine et surtout au riz sont particulièrement problématiques en raison de leur haute teneur en sucre. Lors de leur fabrication industrielle, Ie riz et l’avoine sont fermentés. Dans ce processus, I’amidon se transforme en sucre libre (glucose et maltose), qui sous forme liquide fait rapidement grimper le taux de glycémie. Un simple verre de boisson de riz Alnatura contient 16 grammes de sucre, soit l’équivalent de 4 morceaux.
Autre point négatif pour les boissons végétales, des analyses récentes de produits vendus en Suisse ont décelé des quantités variables de chlorates. Ces sels de chlorures empêchent l’assimilation par l’organisme d’iode dans la thyroïde, ce qui peut induire un changement du taux d’hormones thyroïdiennes. Ces chlorates se sont probablement retrouvés dans ces boissons lors d’utilisation de désinfectants ou d’eau chlorée. De grandes quantités ont été trouvées dans les boissons aux amandes Beleaf (276 μg/litre), de riz bio Alnatura (124 μg/l) et d’avoine Barista d’Oatly (112 μg/l).
Orientation de l’étude
Si la méthodologie pour analyser et évaluer les divers nutriments est solide, le fond de l’étude reste obscur puisqu’il s’agissait, pour les auteurs de calculer «les effets d’une substitution complète du lait par des boissons à base de plantes sur l’apport en nutriments du consommateur, afin d’aider les autorités réglementaires à définir et réviser les recommandations nutritionnelles pour les végétaliens ou les personnes s’abstenant complètement de consommer du lait».
On comprend donc que les auteurs sont partis du postulat que le lait serait un aliment complet à consommer à l’âge adulte, alors que l’on devrait plutôt la considérer comme une déviance. L’humain est le seul individu à continuer à consommer du lait à l’âge adulte, qui plus est d’une autre espèce animale. L’étude considère aussi que les personnes qui consomment des laits végétaux pensent se nourrir, alors qu’il s’agit plutôt d’un produit additionnel, comme base pour des recettes de cuisine ou autre. Qui pense sérieusement se nourrir en buvant du lait de riz ?
L’étude présente aussi les boissons végétales comme étant « généralement » des produits industriels «ultra-transformés », bien que leur production (notamment pour les gammes bios) recourent à des procédés de fabrication simple. L’étude ne mentionne d’ailleurs pas de sources à son affirmation.
Elle oppose également en bloc toutes les boissons végétales au lait, pour en tirer une tendance négative contre les premières. Alors que dans plusieurs domaines, notamment en ce qui concerne l’apport en protéines et leur digestibilité, le soja fait aussi bien, et même mieux selon les lots analysés que le lait de vache.
Les boissons végétales sont parfaites pour enrichir en goût et en texture une boisson, ou comme ingrédient dans une recette. Il n’y a que Swissmilk et les auteurs de cette étude qui semblent penser que les personnes qui se détournent du lait de vache abordent les questions de nutrition sans aucune réflexion.
A propos de l’étude scientifique
L’étude en question a été publiée le 28 octobre 2022 dans la revue scientifique Frontiers. Il ne s’agit pas d’un éditeur commercial, mais d’une revue en libre accès initialement éditée par l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL).
Les deux auteurs de l’étude sont Barbara Walther, présentée par Swissmilk comme nutritionniste, mais qui est, comme la plupart des autres auteurs de l’étude, employée par Agroscope, et Katrin Kopf-Bolanz, de la Haute école des sciences agronomiques, forestières et alimentaires. Deux entités publiques, chargées notamment de mener des études à des fins d’optimisation des élevages. De l’Agroscope, qui est le centre de compétence de la Confédération pour la recherche dans les domaines de l’agriculture et de la filière alimentaire, on doit par exemple l’existence de ces vaches-hublots, animaux auxquels on a troué le flanc pour y fixer par voie chirurgicale une fenêtre vitrée. Ce « hublot » permet aux chercheurs d’étudier la digestibilité de nouveaux aliments pour optimiser la production de lait.
Résumé
En Suisse, comme dans la plupart des pays développés, la consommation de lait a considérablement diminué, passant de 233 litres par habitant en 1950 à 51 litres en 2020. Une des explications est la critique visant l’impact de la production laitière sur l’environnement, et plus généralement, celle de l’élevage pour la production animale. Cette situation a encouragé la population à se tourner vers une alimentation plus végétale, favorisant ainsi notamment l’essor des boissons végétales.
Produits analysés
Afin de mieux évaluer leur valeur nutritionnelle par rapport au lait de vache, 27 boissons végétales de 8 variétés différentes (amande, noix de cajou, noix de coco, chanvre, avoine, riz, soja et épeautre) ont été comparées à deux échantillons de lait acheté en grande surface en 2019.
Résultats
Protéines
Toutes les boissons végétales contenaient des protéines composées des 9 acides aminés dits essentiels et les 2 acides aminés semi-essentiels.
Certaines boissons comme l’épeautre (4.6 g/kg) ou le riz (1.7 g/kg) contiennent très peu de protéines, alors que celle au soja en contient plus (37.8 g/kg) que le lait de vache (32.6 g/kg). Celle de cajou en contient 13.3 g/kg, celle aux amandes 10.2 g/kg.
La quantité d’acides aminés est en taux variables selon les sources. Certaines boissons ont une part élevée de certains acides aminés, mais faibles pour d’autres.
Le soja a une composition en acides aminés essentiels très proche du lait, avec selon les échantillons analysés des valeurs en acides aminés plus élevées que le lait.
La noix de cajou contient également des acides aminés en proportion presque équivalente au soja ou au lait.
Digestibilité des acides aminés
La digestibilité des acides aminés (DIAAS) du soja et leur assimilation par l’organisme est considérée comme équivalente à celle du lait pour les enfants dès l’âge de trois ans, les adolescents et les adultes. Pour les autres boissons, la digestibilité va de 39,0 % (amande) à 78,8 % (cajou).
Graisses et acides gras
Avec 35.4 g/kg, le lait est la boisson la plus grasse. Elle est celle aussi qui contient le plus d’acides gras saturés. Communément appelés «mauvaises graisses», ils sont à éviter en raison des effets néfastes qu’ils auraient sur l’organisme.
La boisson au chanvre est celle qui à un taux de matière grasse la plus proche du lait, avec 32.6 g/kg, suivie de la noix de cajou (27.6 g/kg) et de l’amande (25.6 g/kg). Le soja en contient 20.6 g/kg.
A l’exception de la noix de coco, les graisses contenues dans les boissons végétales appartiennent aux acides gras à longue chaînes et principalement des groupes monoinsaturés (oméga-9) et polyinsaturés (oméga-3 et oméga-6). Ces acides gras sont particulièrement bénéfiques pour l’organisme, en raison de leur propriété cardiovasculaire protectrice et régulatrice du cholestérol. Les oméga-3 et oméga-6 sont aussi des acides gras dits essentiels, car notre organisme n’est pas capable de les synthétiser.
En comparaison, le lait contenait peu d’oméga-3 et oméga-6.
La noix de coco peu d’oméga-6 et le soja peu d’oméga-3.
Les glucides
La teneur moyenne en glucides des boissons végétales variait de 13 g/kg pour les amandes, à 48.2 g/kg pour le riz.
Globalement, elle est élevée dans les boissons à l’épeautre, au riz et à l’avoine (36.7) ; modéré dans celles à la noix de coco et aux noix de cajou (22.8), et faible dans celles au soja (14.7), aux amandes et au chanvre.
La teneur en glucides dans le lait était de 50.3 g/kg, soit la valeur la plus élevée de toutes les boissons analysées.
Les sources de glucides sont le lactose pour le lait, et différentes sortes de sucres (ajoutés ou non) pour les boissons végétales.
Vitamines
Certaines boissons étaient enrichies en vitamines. Celles à base de noix de cajou, de noix de coco, d’avoine et de riz contenaient généralement de faibles quantités de vitamines par rapport aux autres boissons végétales.
La seule vitamine trouvée uniquement dans le lait est la vitamine C. A l’inverse, le lait ne contenait pas de vitamines D.
Pour les autres vitamines analysées (Biotine (B8), Niacine (B3), Acide pantothénique, B1, B2, B6, B12, acide folique, A, E, D2, K1, K2), toutes se trouvent en quantité variables selon les boissons analysées. Certaines vitamines sont absentes, comme la vitamine A dans les boissons de coco, amandes, épeautre, soja, riz, avoine et de chanvre.
En comparaison du lait de vache, la teneur en Nyacine est plus élevée dans le soja, l’amande, le chanvre et l’épeautre.
La vitamine B1 dans la cajou, le chanvre, l’épeautre, le soja et l’avoine.
La vitamine B6 dans le soja.
La vitamine K1 et l’acide folique dans le soja et la cajou.
Toutes les boissons végétales contiennent (avec ou sans supplémentation) plus de vitamines E que le lait.
A la différence des boissons d’amandes, de coco, d’avoine, de soja, de chanvre et d’épeautre, le lait ne contient pas de vitamines D2.
Minéraux et oligo-éléments
Parmi les douze composés analysés, la boisson de soja est celle dont la teneur en minéraux et oligo-éléments est la proche du lait, sauf pour l’iode (I), le chlore (Cl) et le calcium (Ca). A la différence du lait, le soja et toutes les autres boissons végétales contiennent en plus du fer (Fe), du manganèse (Mn) et du cuivre (Cu).
Comparatif
Une portion (200 ml) de lait contribue en moyenne à plus de 10 % de l’apport quotidien journalier (AJR) pour la biotine, l’acide pantothénique, la vitamine B2, le phosphore, le calcium et l’iode, les protéines (13,6 %) et les graisses (11,3 %).
Une portion (200 ml) de boisson au soja contribue en moyenne à plus de 10 % de l’AJR pour la vitamine B2, acide folique, vitamine E, vitamine D2, vitamine K1, le phosphore, le manganèse, le magnésium, le cuivre, le calcium et les protéines (14,1 %).
Les autres boissons analysées contenaient moins de 10% de l’AJR, à l’exception de certains nutriments comme le calcium pour l’avoine, le riz et l’amande, et certaines vitamines et oligo-éléments.
Sources :
Comparison of nutritional composition between plant-based drinks and cow’s milk. Frontiers in Nutrition, 9.
https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fnut.2022.988707/full