Ressusciter génétiquement le mammouth laineux et le tigre de Tasmanie, c’est le projet visé par Colossal Biosciences, une société américaine de biotechnologie et de génie génétique.

Mammouth laineux

La société a été fondée en septembre 2021, suite à une première levée de fonds de 15 millions de dollars. Un deuxième cycle de financement de 60 millions de dollars en mars 2022 a porté son capital à 75 millions de dollars et permis à ses équipes de s’étendre sur trois sites de recherche aux Etats-Unis, à Dallas et Austin (Texas) et Boston (Massachusetts). Parmi les importants fonds d’investissements, on y trouve notamment la CIA (1), par l’intermédiaire de la société In-Q-Tel (2) que l’agence a créée et qui s’intéresse particulièrement au séquençage de l’ADN.

Des éléphants d’Asie génétiquement modifiés

Car Colossal Biosciences, dont l’un des fondateurs est le généticien George Church du Wyss Institute de l’université d’Harvard, vise la résurrection d’espèces éteintes, en partie grâce à l’outil Crispr-Cas9, sorte de « ciseaux génétiques », qui permettent de couper une chaîne d’ADN pour supprimer, corriger ou ajouter un gène.
Son objectif initial était de faire revivre le mammouth laineux -une espèce disparue il y a près de 4000 ans- pour des raisons écologiques, « afin qu’ils puissent revitaliser des écosystèmes disparus, pour la santé de la planète ».
A l’époque, ces animaux participaient indirectement à la préservation du permafrost -sol gelé qui couvre 20% de la surface terrestre- en régulant les températures au sol en en écrasant l’herbe et la mousse, en abattant les arbres et en aplatissant la neige. Pour la société américaine, des « mammouths modernes » permettraient de décélérer la fonte du permafrost de l’Arctique et empêcher la libération de grandes quantités de gaz à effets de serre impliqué dans le réchauffement climatique.
Pour ce faire, Colossal Biosciences veut modifier génétiquement des embryons issus de l’éléphant d’Asie, qui partage 99,6% de son ADN avec le mammouth laineux. Les éléphants génétiquement modifiés devraient développer une couche de graisse et une fourrure leur permettant de résister aux froids polaires, avant d’être réintroduits dans la toundra de l’Arctique pour restaurer les prairies steppiques. Les premiers veaux hybrides de mammouth laineux devraient être produits d’ici 2027.

Risque pour les écosystèmes existants

Parmi les critiques lancées contre Colossal Biosciences, celui du risque environnemental provoqué par le lâcher de ces nouveaux « mammouths ». Les niches écologiques de cette espèce n’existent probablement plus et leur présence pourrait bouleverser les écosystèmes actuels.
Il n’est pas possible non plus de savoir combien d’animaux seront nécessaires à la préservation du permafrost, ni s’ils seront vraiment capables de réaliser cette tâche.
Les gènes modifiés pourraient également être affectés par la sélection naturelle ou transmis à des espèces sauvages et échapper au contrôle des scientifiques.

Des considérations éthiques s’additionnent aux critiques. La modification génétique d’un animal par l’Homme et son application possible sur d’autres êtres humains ou embryons soulèvent un débat moral. Car les modifications d’un génome, grandement facilitées avec le développement de l’outil Crispr-Cas9 n’est pas sans risque, celui-ci pouvant notamment provoquer des mutations inattendues. Dans le cas des chercheurs et généticiens de Colossal Biosciences, la possible création complexe d’une nouvelle espèce animale prime sur les possibles conséquences délétères que pourront subir ces animaux suites aux modifications génétiques induites. A l’image des clonages d’animaux, dont la survie pour beaucoup s’apparente à un chemin de souffrances (3), les possibles dommages infligés à ces nouveaux « mammouth » ne semblent pas susciter beaucoup d’émotions au sein de la communauté scientifique.

Tigre de Tasmanie

Tigre de Tasmanie

Nouvel objectif : le tigre de Tasmanie

Dans l’attente de faire revivre le mammouth, Colossal Biosciences a annoncé en août 2022 s’être lancée dans un nouveau challenge : modifier génétiquement des cellules de la peau d’un Dunnart, un petit marsupial de la taille d’une souris, pour qu’il ressemble progressivement au tigre de Tasmanie (Thylacinus cynocephalus), un marsupial carnivore de la taille d’un loup et dont l’espèce est considérée comme éteinte depuis 1936. En produisant suffisamment d’ADN, les chercheurs espèrent faire renaître cet animal en utilisant le clonage pour le réintroduire dans certaines zones de Tasmanie et de l’Australie, afin que cela « rééquilibre les écosystèmes qui ont subi une perte et une dégradation de la biodiversité depuis la disparition de l’espèce ».

Dunnart

Dunnart

Sources

1) La Central Intelligence Agency, fondée en 1947 par le National Security Act, est une agence américaine chargée de l’acquisition du renseignement et de la plupart des opérations clandestines effectuées hors des Etats-Unis.

2) Créée et gérée par la CIA en septembre 1999, In-Q-Tel est un fonds américain de capital-investissement à but non lucratif. Il est chargé d’investir dans des technologies de pointe pour renforcer la sécurité nationale des États-Unis, notamment dans le domaine de la biotechnologie pour résoudre des problèmes mondiaux, comme le changement climatique, la sécurité alimentaire et l’accès aux soins médicaux). En investissant dans Colossal Biosciences, « il ne s’agit pas tant des mammouths mais plutôt du potentiel » de la biotechnologie d’un point de vue stratégique, écrivait In-Q-Tel le 20 septembre 2022 dans un communiqué.
https://www.iqt.org/how-can-we-use-biology-to-solve-global-issues/

3) Premier animal issu du clonage, la brebis Dolly née au Royaume-Uni en 1996 à dû être euthanasiée en 2003 suite à des problèmes d’arthrite précoce et de difficultés respiratoires. Aujourd’hui encore le taux de réussite du clonage reproductif est très faible en raison d’une mortalité post-natale est très forte. Durant la période juvénile, la santé et le bien-être des animaux issus du clonage sont souvent sévèrement altérés avec des conséquences graves, notamment chez les bovins et les porcs, ce qui a conduit le Parlement européen à interdire l’importation de la viande issus d’animaux clonés.