En 2022, la consommation de fromage en Suisse reste élevée et stable. Ou pas.

Les chiffres publiés par la fédération des producteurs suisses de lait ne correspondent pas à la réalité et sont volontairement embellis.

Les communiqués de presse de Swissmilk (1) sur la consommation de fromage sont toujours dithyrambiques : « Augmentation de la consommation », « Une nation amateur de fromage », « Les Suisses mangent plus de fromage » ou « Année record confirmée » pour 2021.
Le communiqué publié le 23 mars 2023, bien qu’il concède un léger recul des chiffres par rapport à l’année précédente, reste positif. Pour les producteurs laitiers, la consommation en Suisse « reste élevée et stable ». Comment une consommation peut-elle rester « stable » si elle diminue ? C’est toute l’habilité de la communication de Swissmilk. Et cela ne s’arrête pas là.

Des chiffres « provisoires »

Pour garder de la souplesse dans ses affirmations, les communiqués publiés en mars, années après années, publient systématiquement des « chiffres provisoires ». C’est pratique, le provisoire pouvant par la suite être adapté en conséquence. Et en compilant tous les chiffres « provisoires » publiés dans les communiqués de 2012 à 2021, on se rend compte que la plupart des fois, les chiffres diffèrent d’une année à l’autre. Ce qui n’est pas très sérieux.

Consommation de fromage en Suisse, par habitant-e

Comparatif des cp de swissmilk

Incroyables statistiques de Swissmilk. La plupart des chiffres diffèrent d’une année à l’autre (les données du communiqué de 2018 ne sont pas accessibles).

Production ne signifie pas consommation

Le fait de publier des « chiffres provisoires » trois mois après la clôture d’une année civile est aussi particulier. De combien de mois Swissmilk a-t-il besoin pour calculer des données transmises par les producteurs ? Et pourquoi ne pas attendre d’avoir des chiffres définitifs pour communiquer sur la réelle consommation de fromage par la population ? La communication des producteurs laitiers reste alambiquée. Selon leur dernier communiqué, chaque suisse aurait mangé en moyenne « 22,9 kg de fromage ». Mais production ne signifie pas consommation. Surtout si on prend en compte le gaspillage alimentaire qui touche aussi ce produit. Selon le rapport du 6 avril 2022 du Conseil fédéral, entre la restauration, le commerce et les ménages, environ 50’000 tonnes de fromage mis sur le marché finissent chaque année à la poubelle, ce qui corresponds à environ 6 kg par habitant. Interpellé sur ce fait, l’organisme Agristat qui calcule les données pour le compte de Swissmilk répond que les chiffres avancés ne sont effectivement qu’une « estimation ». Ce qui est définit comme « consommation » n’est que la somme des chiffres liés à la « production, additionnée aux importations et exportations, dont sont soustraits les changements des stocks ».

Des volumes de production gonflés par d’autres produits industriels

Le plus fantaisiste reste à venir : les producteurs de lait publient des chiffres différents de ceux que l’on trouve dans les statistiques de leurs propres organes. Ainsi, le volume total de fromage communiqué chaque année est supérieur à celui mentionné par la fiduciaire TSM. Pour l’année 2022, elle publie le chiffre de 198’062 tonnes disponibles pour le marché Suisse. Pour arriver au chiffre de 204’000 tonnes annoncé par Swissmilk, il faut alors trouver d’où sortent les 5’938 tonnes manquantes.
Interrogé à ce propos, Agristat confirme que dans les chiffres mentionnés, il n’y aurait « pas que du fromage au sens strict ». Et explique que pour des produits comme la fondue prête à être consommée, c’est le poids total du produit qui est calculé, pas sa réelle teneur en fromage. Idem pour les fromages fondus ultra-transformés par les industriels, auxquels sont ajoutés de nombreux additifs, épaississants, amidon et autres substances. Eux aussi sont comptabilisés comme « fromage ». Interpellé sur sa façon particulière de calculer la production de fromage en y additionnant des produits qui n’en sont pas, Agristat répond utiliser cette méthode de calcul depuis « des dizaines d’années » et l’estime « transparente ».

Une stratégie de communication réfléchie

Au final, se pose la question de l’intérêt pour les producteurs de lait à publier des communiqués faisant état de chiffres excessivement élogieux. Les problèmes éthiques et environnementaux posés par l’industrie laitière détournent chaque année un nombre toujours plus important de consommateurs de ses produits. Plutôt que de rendre compte de cette baisse et de prendre le risque de renforcer une image négative des produits laitiers, gonfler les chiffres et annoncer que tout va bien semble répondre à une stratégie commerciale. Reste la question de la confiance à accorder à un organisme qui ventile des chiffres biaisés pour défendre ses intérêts. Surtout lorsque l’organisme en question vit en grande partie grâce aux fonds publics alloués par la Confédération.

Sources :

(1) Les communiqués sont publiés par Swissmilk, la fédération des producteurs suisses de lait (PSL), en collaboration avec Agristat, le service statistique de l’Union suisse des paysans, de TSM Fiduciaire Sàrl, chargée principalement de la gestion des données laitières en Suisse, et de Switzerland Cheese Marketing, chargée de la promotion de la branche fromagère suisse.
https://www.swissmilk.ch/fr/producteurs-de-lait/
https://www.sbv-usp.ch/fr/ettiquettes/agristat
https://www.tsmtreuhand.ch/fr/
https://www.switzerlandcheesemarketing.ch/fr/