Une évidence pour notre avenir

Trop de viande, trop de production, trop de gaspillage, trop de pollution, trop de beaucoup trop de chose pour envisager l’avenir avec sérénité. Repenser notre mode de consommation semble être une évidence. Et en cela, l’initiative pour laquelle la population suisse est appelée à voter le 25 septembre 2022 pourrait produire le déclic suffisant pour contribuer à ce changement.

Car l’initiative (1) vise un objectif assez simple : le remplacement de la production animale intensive par un élevage « extensif » plus respectueux des animaux. Ce qui signifie réduire le nombre d’animaux détenus dans une même exploitation et leur permettre de sortir des halles dans lesquelles ils sont détenus, conformément aux directives Bio Suisse de 2018.

Parmi les arguments énoncés par les opposants à l’initiative, quelques-uns sont régulièrement employés pour inciter la population à rejeter le texte. Il n’y aurait pas d’élevages intensifs en Suisse. Le bien-être animal serait déjà assuré par notre législation qui est l’une des plus stricte au monde. Le prix des denrées animales augmenterait et l’importation de denrées produites à l’étranger de la pire façon pour les animaux augmenterait massivement.

Etude biaisée et arguments alarmistes

L’Union suisse des paysans et l’Association suisse pour un secteur agroalimentaire fort ont même mandaté l’économiste Mathias Binswanger de la Haute école spécialisée de la Suisse du Nord-Ouest (FHNW) pour mener une étude (2) sur la mise en application de l’initiative. Les conclusions alarmistes prévoient une chute drastique des élevages. Le taux d’auto-approvisionnement (production suisse) passerait de 58% à 5 % pour les poulets de chair, de 56% à 20 % pour les œufs et de 92% à 50 %pour les porcs.

Etude alarmiste, mais pas dépourvue de biais. Ainsi elle ne prend pas en compte les dispositions prévues par l’initiative pour appliquer aux produits carnés importés les mêmes conditions fixées aux élevages en suisse. L’étude annonce même une « stimulation » du tourisme d’achat alors que cela violerait les dispositions légales (art. 80a, al. 4). Les méthodes de calcul sont aussi hasardeuses puisqu’elles prennent en compte des critères que l’initiative ne prévoit pas, comme une limitation du nombre d’animaux par hectare de surface agricole utile de l’exploitation. Cette disposition est bien fixée pour obtenir le label Bio Suisse, mais l’initiative (art. 197, ch. 13, al. 2) se réfère uniquement aux normes d’élevage.

Etat de la situation actuelle

En 2021, la vente de viande en Suisse s’est élevée à 51,8 kg par habitant (60,7 kg poissons et crustacés compris). Si la totalité de la viande avait été consommée, cela reviendrait à une portion de140 grammes par jour et par personne. Au niveau de la production locale, 83 millions d’animaux ont été abattus en Suisse, il s’agit notamment de :

  • 79 millions de volailles (principalement des poulets de chair) ;
  • 2,5 millions de porcs ;
  • 600’000 bovins ;
  • 280’000 chèvres et moutons.

On le voit, l’abattage concerne principalement la volaille. On abat chaque jour plus de 200’000 poules.

Plus globalement, les chiffres publiés par l’OFAG (Office fédéral de l’agriculture) comptabilisaient pour l’année 2020 l’élevage de :

  • 12,4 millions de poulets de rente (dont 384’000 poules pondeuses et d’élevage) ;
  • 1,52 million de bovins (dont 678’000 vaches) ;
  • 1,35 million de porcs ;
  • 344’000 moutons ;
  • 80’000 chèvres ;
  • 80’000 chevaux.

Ainsi, dans le domaine de la production de viande brute, la Suisse dispose d’un haut degré d’auto-approvisionnement avec un taux d’environ 80%.

Pour les trois espèces animales les plus consommées il est d’environ :

  • 83 % pour le bœuf ;
  • 92,7% pour le porc ;
  • 67,2% pour la volaille.

Evaluation de l’impact de l’initiative sur les élevages

Elevages de bovins

A ce niveau, le cahier des charges de Bio Suisse n’est pas très ambitieux. Il se réfère, dans les grandes lignes, aux dispositions SRPA.

Les éleveurs touchent des contributions publiques pour soutenir leur production animale. Il s’agit des « paiements directs ». La Confédération propose des rémunérations supplémentaires lorsque l’éleveur accepte la mise en œuvre de programmes spéciaux qui vont au-delà de l’application de la législation sur la protection des animaux. Dans le cas de l’élevage, il s’agit principalement des programmes SST et SRPA.

Le programme SST (pour systèmes de stabulation particulièrement respectueux des animaux) prévoit par exemple comme litière des couches de paille ou de sciure, une luminosité minimale, ou encore des aires surélevées, une aire à climat extérieur ou un jardin d’hiver pour les volailles.

Le programme SRPA (pour sorties régulières en plein air à ciel ouvert) fixe un cadre précis selon l’espèce. Notamment la période et le nombre de sorties au pâturage, l’accès à une aire d’exercice, les horaires de sorties, etc. Les sorties au pâturage sont facultatives pour les veaux et les bovins à l’engrais.

Selon les statistiques de l’OFAG, plus de 80% des bovins détenus en Suisse suivent le programme SRPA (4). L’acceptation de l’initiative impactera donc peu les élevages en suisses. Ce d’autant qu’il est prévu un délai transitoire de 25 ans pour son application. Ce qui signifie que la plupart des exploitations ne pouvant ou ne souhaitant pas s’adapter cesseront leurs activités lorsque l’âge de la retraite pour les exploitants se manifestera.

Elevages de porcs

Toujours selon l’OFAG, 50% des porcs détenus en Suisse suivent le programme SRPA (60% également le programme SST).

Le label Bio Suisse interdit l’utilisation de caillebotis (perforation du sol) sur les surfaces de repos, qui doivent être pourvues de litière. A l’exception des truies allaitantes et pour une durée restreinte, les animaux doivent vivre en groupe et bénéficier d’un accès quotidien à une aire de sortie en plein air.

Là encore, l’initiative n’impactera pas vraiment la moitié des porcs détenus en Suisse, le nombre maximal d’animaux par élevage étant toujours fixé à 1500 par exploitation.

Il en sera par contre autrement pour une partie de l’autre moitié détenue de façon épouvantable dans des halles industrielles. Pour qui a déjà eu la chance de côtoyer ces animaux, on ne peut qu’être atterré par les conditions dans lesquelles on les force à vivre. Alors qu’ils sont extrêmement propres et veillent à séparer les endroits de défécation et ceux destinés au repos, on les oblige à vivre entassés dans des boxes couverts d’excréments. Notre législation sur la protection des animaux, pourtant vantée comme « l’une des plus stricte au monde », a visiblement oublié le bien-être des cochons. Il est possible d’entasser des dizaines de porcs dans des boxes en leur octroyant à chacun une surface de 0,9 mètre carré (0,25 m2 de plus que dans I’UE !) Imaginez un porc d’une centaine de kilos en fin d’engraissement tenir sur 0,9 m2 !

Grâce à l’acceptation de l’initiative, ces élevages devront s’adapter et enfin mieux prendre en considération les besoins de ces animaux. Ou disparaître, ce qui ne sera pas un drame.

Elevages de volaille

C’est à ce niveau que l’initiative impactera le plus durement l’élevage. Car contrairement à ce que montre les images publicitaires des éleveurs de volaille, la plupart de ces animaux ne verront ni un brin d’herbe, ni la lumière du jour de toute leur existence. Sauf peut-être le jour de leur départ à l’abattoir.

La Suisse élève des poules pondeuses pour les  œufs, et engraisse des poulets de chair pour la viande. Ceux-ci sont largement majoritaires dans les abattages (12 millions contre 400’000 poules pondeuses) et ils ne sont que 8% à disposer d’un programme équivalent aux directives SRPA (mais 98% ont des conditions vies conformes au programme SST).

Alors que la moitié des poules vivent dans des exploitations de plus de 8000 animaux, les directives Bio Suisse limitent les élevages de poules pondeuses à deux unités de 2000 animaux, pour un maximum 4000 volailles.

Concernant les poulets de chair, on comptabilise environ 900 exploitations d’engraissement pouvant détenir de 5’000 à 18’000 animaux. Là aussi, l’initiative limitera le nombre d’animaux pouvant être détenus sur une exploitation. Il sera limité à 2’000 poulets en pré-engraissement ou 500 poulets à l’engraissement par unité. Le nombre d’unité n’est par contre pas limité dans une exploitation, tant que les espaces de sorties à disposition sont suffisants.

Si la réduction des cheptels est stricte, elle fait notamment sens pour des questions sanitaires. Des unités d’élevages plus petites permettent de réduire les risques de maladies et l’utilisation d’antibiotiques, mais aussi de limiter les risques d’épizooties et de pandémies. Elles permettent aussi d’assurer un meilleur suivi des animaux. Trop de volaille meurent sans soin au milieu de leurs congénères. Dans les poulaillers industriels détenant des milliers d’animaux, une mortalité de 4 à 5% du cheptel est considérée comme « normale ».

Part du bio en Suisse

Selon les données de Bio Suisse (qui prends en compte des facteurs plus étendus que les statistiques établies par Nielsen et utilisées par l’OFAG), la part du bio en 2020 dans le commerce Suisse est la suivante :

  • Œufs 28,9 %
  • Produits laitiers/fromage 11,3 %
  • Viande et poisson (hors surgelés) 6,2 %, dont viande fraîche : 5,2%

Pour ces quantités qui sont déjà conforme aux dispositions de l’initiative, rien ne changera.

Incidence de l’initiative sur l’augmentation des prix

D’une manière générale, le prix actuellement fixé par les distributeurs pour la vente des produits carnés labellisés est clairement excessif.

Le consommateur débourse en moyenne 50 % de plus pour la viande de qualité bio. Les pourcentages varient d’un produit à l’autre, se chiffrant (2019) en moyenne à 160 % pour le blanc de poulet, à 52 % pour la viande hachée de bœuf et à 39 % pour la côtelette de porc.

En cause, la marge que se prennent les distributeurs. A titre d’exemple, ceux-ci ajoutent en moyenne 144% au prix de revient d’une escalope de bœuf labellisée, contre seulement 47% pour son équivalent de production conventionnelle. Selon les distributeurs, la petite taille du marché et les coûts qu’il induit expliquent ces différences de prix. Toujours est-il que la part de vente de viande bio ou labellisée (IP Suisse, Naturafarm, Weidebeef, etc.) a baissé entre 2020 et 2021, passant de 36,6% à 31,9% pour la viande de bœuf, et presque autant pour la viande de porc. La part des ventes respectant le « bien-être animal » est ainsi passée de 35% à 30,5%. Seule la production de poulet labellisé s’est maintenue à 8%.

Dans les faits, l’offre – vu son prix excessif- dépasse la demande. Alors que 50 à 60% de la viande porcine pourrait être vendue sous label, seule 30% est commercialisés en tant que tel. Et il en va de même pour 60 à 95% de la viande bovine.

Relevé de prix en août 2022

Un poulet conventionnel suisse Prix garantie Coop était vendu Fr 7.95/Kg, son homologue l’était à Fr 9.95/Kg et le poulet Bio Suisse à Fr 19.50/Kg.

La côtelette de porc conventionnelle Prix garantie Coop était vendue à 15.- /Kg, la NaturaFarm (SRPA) à 22.50/Kg et la Bio Suisse à Fr 35.- /Kg

L’entrecôte de bœuf conventionnelle était vendue 65.50/Kg et la Bio Suisse à 105.50/Kg

Si la production totale de la viande baissera bel et bien en Suisse, principalement au niveau de la volaille, le prix de la viande ne devrait lui pas prendre l’ascenseur. Au contraire, plus rien ne justifiera les marges abusives des distributeurs, ceux-ci n’ayant plus qu’un type de produit à écouler. Le prix de la viande bovine, déjà produite à 80% selon les normes de l’initiative, n’aurait aucune raison de changer. La baisse de la production de viande de porc, peu intéressante d’un point de vue nutritionnel n’aura pas besoin d’être compensée. La viande de volaille augmentera elle probablement. Mais même bio, il s’agit d’une viande peu chère à l’achat. Payer quelques francs de plus de plus le kilo ne sera pas un problème s’il est accompagné par une réduction de la consommation de produits carnés. Ce que l’initiative favorisera.

Incidence de l’initiative sur les importations et le tourisme d’achat

L’initiative mentionne explicitement que les importations de produits non similaires à ceux produits en Suisse seront interdites. Il n’y a aura donc ni tourisme d’achat (pour un produit de moindre qualité) ni importation de poulet de batterie et autre viandes produites dans des conditions terribles pour les animaux. C’est pourtant un argument mensonger volontiers utilisé par les opposants à l’initiative.

Incidence de l’initiative sur notre consommation

Réduire sa consommation de viande, équilibrer ses repas avec des sources végétales bien moins polluantes et plus économiques à produire est une évidence. Continuer à consacrer 50% des terres cultivables en Suisse pour nourrir des animaux d’élevage à la place et des humains est un non sens et contribue aussi à réduire notre « souveraineté alimentaire ». Actuellement les distributeurs mettent quotidiennement à la vente l’équivalent de 140 grammes de viande par habitant. Volume tellement excessif que les commerces jettent chaque année 5000 tonnes de viande invendues. Selon un rapport (5) du Conseil fédéral sur le gaspillage alimentaire publié le 6 avril 2022, ce serait même 14,7 Kg de viande par habitant qui seraient gaspillées chaque année.

Moins consommer mais mieux, c’est ce que permettra la mise en œuvre de l’initiative. Et peut-être aussi une meilleure valorisation du métier d’agriculteur, actuellement à la merci des choix et décisions des grands distributeurs. Ceux-ci fixent les conditions et les prix d’achats, ce qui n’est pas tenable pour la filière, qui produit pour un prix toujours plus dérisoire.

Sources :

(1) En cas d’acceptation de l’initiative populaire «Non à l’élevage intensif en Suisse (initiative sur l’élevage intensif)» déposée le 17 septembre 20192, la Constitution sera modifiée comme suit:

Art. 80a Garde d’animaux à des fins agricoles

1 La Confédération protège la dignité de l’animal dans le domaine de la garde d’animaux à des fins agricoles. La dignité de l’animal comprend le droit de ne pas faire l’objet d’un élevage intensif.

2 L’élevage intensif désigne l’élevage industriel visant à rendre la production de produits d’origine animale la plus efficace possible et portant systématiquement atteinte au bien-être des animaux.

3 La Confédération fixe les critères relatifs notamment à un hébergement et à des soins respectueux des animaux, à l’accès à l’extérieur, à l’abattage et à la taille maximale des groupes par étable.

4 Elle édicte des dispositions sur l’importation d’animaux et de produits d’origine animale à des fins alimentaires qui tiennent compte du présent article.

Art. 197, ch. 13

13. Disposition transitoire ad art. 80a (Garde d’animaux à des fins agricoles)

1 Les dispositions d’exécution relatives à la garde d’animaux à des fins agricoles visée à l’art. 80a peuvent prévoir des délais transitoires de 25 ans au plus.

2 La législation d’exécution doit fixer des exigences relatives à la dignité de l’animal qui correspondent au moins à celles du Cahier des charges 2018 de Bio Suisse.

3 Si la législation d’exécution n’est pas entrée en vigueur dans les trois ans à compter de l’acceptation de l’art. 80a, le Conseil fédéral édicte provisoirement les dispositions d’exécution par voie d’ordonnance.

(2) https://www.sbv-usp.ch/fileadmin/sbvuspch/04_Medien/Medienmitteilungen/PM_2022/220610_Schlussbericht_SBV_Massentierhaltungsinitiative_final_-_avec_resume_F.pdf

(3) https://partner.bio-suisse.ch/fr/cahierdechargesrglements6.php

(4) Les chiffres ne sont pas calculés par animal mais par unité de gros bétail.

(5) https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-87910.html